SNC-LAVALIN : Conséquences de mauvaises fréquentations des leaders

Écrit par Bernard Brault le 04/03/2012

Qui aurait pu dire ça ? Sûrement pas les écoles d’administrateurs de sociétés ! Pourtant il ne se passe pas une semaine sans que les journaux nous rapportent les conséquences d’une gestion molle et peu rigoureuse, embrouilles, conflits d’intérêts et pots-de-vin. Que beaucoup de dirigeants d’entreprises privées ne fassent aucun effort pour instaurer un cadre managérial systématique qui puisse prévenir les dérapages du leadership ne me choque pas outre mesure. Ils seront responsables de leur propre turpitude.

Par contre, je ne serai pas tendre envers ces administrateurs de sociétés publiques, leaders sans foi ni loi et autres crapules aux intérêts glauques qui utilisent l’argent des autres pour jouer au casino économique. L’affaire Enron a heureusement permis d’en placer quelques-uns derrière les barreaux, mais cette affaire comme celle de Nortel a fait perdre bien des emplois et des régimes de retraite pourtant bien mérités.

SNC-Lavalin

Cette fois, c’est un de nos fleurons québécois qui écope. Des projets de SNC-Lavalin effectués en Libye seraient liés à des pratiques criminelles présumées. Selon Le Devoir du 1er mars 2012,  des malversations comptables de 35 millions auraient pour origine des transactions liées (…) aux projets de SNC-Lavalin en Libye et portent sur des pratiques criminelles présumées, notamment le versement de pots-de-vin et le transfert d’argent vers les membres de la famille du dictateur par le jeu de sociétés-écrans.

À cette somme s’ajoute «une perte d’environ 23 millions découlant d’une révision de l’exposition financière nette de la société relativement à ses projets en Libye». Au total, les résultats du quatrième trimestre de 2011 refléteront une réécriture de 80 millions.

Évidemment, le conseil d’administration, en réaction postévènements, demande maintenant une enquête indépendante externe. La pro-activité, ils ne la connaissent pas. Les pots-de-vin, non plus ! La naïveté est-elle un élément du CV des administrateurs de société ? Prend-on simplement la chance que la tempête les épargne ? Nous vivons à une époque de l’économie casino ; ça passe ou ça casse !

L’appât du gain et la peur de perdre ce gain sont de très mauvaises conseillères. Alors, le camouflage comptable à la « Enron » commence.

Pots-de-vin, omerta et fisc canadien

Le principe du pot-de-vin, c’est le silence officiel. Justifier la dépense de pots-de-vin pour l’obtention de contrats lucratifs est peut-être de notoriété publique, mais à ce que je sache les nouvelles normes comptables n’ont pas encore ajouté un poste « Pot-de-vin pour contrat illicite » ou encore un poste pour « Embrouilles diverses ».

Donc, fatalement, gérer des pots-de-vin signifie gérer un poste de camouflage, tribouille et marteau aux états financiers.  Ajoutons des leaders de sociétés obnubilés par le profit à court terme, sourds, aveugles et incompétents, le cocktail est explosif.

Incompétent, parce qu’il faut vraiment être un analphabète financier pour ne pas savoir qu’une sortie de fonds de 35 millions doit être aussi justifiée au fisc. Une pratique de pots-de-vin à l’étranger nécessite la complicité de la comptabilité interne, de la vérification externe, des leaders et du conseil d’administration.

Cachez ce sein que je ne saurais voir, surtout s’il est de la Lybie ! Nature sensible s’abstenir.

Conséquences

Les conséquences pour l’entreprise (principe de Continuité) et pour les dirigeants (principes de Transparence et d’Abnégation) risquent d’être dramatiques tout en espérant qu’elles ne soient pas insurmontables.

Cette annonce fracassante de CBC et du Devoir, et celle plus générale d’une révision à la baisse du bénéfice net de 80 millions, soit un recul de 18 % du bénéfice par rapport aux perspectives, a créé une crise de confiance qui a eu un effet immédiat en bourse; l’érosion de 1,66 milliard de la capitalisation boursière de SNC.

Comme si un malheur n’arrivait jamais seul, le 2 mars 2012, TVA nous apprenait que certains dirigeants de SNC font l’objet d’une procédure pour un recours collectif de 250 millions $. La procédure allègue que ces dirigeants ont permis que des informations et des représentations inexactes ou trompeuses relatives au code de conduite interne de SNC et à ses obligations légales aient eu un impact  sur la valeur des titres boursiers. De plus, des allégations sérieuses contre certains dirigeants ayant participé à des activités illicites en Lybie font aussi partie de la procédure.

Mercenaires et corsaires du roi

Est-ce ainsi que l’on doit surnommer les dirigeants, gestionnaires et comptables professionnels qui sont prêts à faire « la sale job » et à porter le blâme pour des activités douteuses qui rapportent des profits colossaux aux actionnaires et administrateurs de sociétés ? Quels sont ces dirigeants vassaux qui sont prêts à risquer leur poste et leur réputation, voire maintenant la prison, pour une poignée de dollars ? Bon d’accord, vous me direz que ce sont les mêmes types de gros bras qui travaillent pour la mafia, MBA en sus.

 « Horribilis causa » ! Plutôt démissionner ou plutôt mourir que de parler de Saine Gestion

Dans cette affaire ou dans beaucoup d’autres sociétés privées ou publiques agissant sur le plan international, il est de notoriété publique que dans certains pays, les pots-de-vin soient souvent nécessaires pour obtenir un contrat. (Ne me poser pas la question pour le Québec. Il y a une commission qui s’occupera peut-être de ça en 2013 !)

J’aimerais bien que quelqu’un m’explique pourquoi une société, fleuron québécois de l’ingénierie, qui fait de surcroît appel au public pour sa capitalisation, soit obligée de jouer les rats d’égout pour récupérer quelques contrats auprès des pires criminels de la planète. Est-ce la pointe de l’iceberg ?

Ce qui me laisse toujours pantois, c’est la parfaite innocence des membres du conseil d’administration qui n’ont qu’à répliquer par l’octroi d’un mandat de vérification externe pour se rendre compte d’une situation qu’ils ne voulaient surtout pas connaître quelque temps auparavant.

J’aimerais que l’on tente de m’expliquer comment le contrat en Lybie aurait pu être caché au conseil d’administration. La réponse vous demandera sans doute quelques contorsions de niveau olympique !

Principe de précaution

Par ailleurs, est-ce qu’il y a encore quelqu’un sur cette planète qui ne se serait pas douté que Khadafi demanderait quelques avantages personnels, évidemment à peine modestes, pour l’octroi de contrats dans son royaume ? Ne pas se poser la question est une faute importante, accepter et camoufler est peut-être là, le véritable crime managérial.

Psggr : 4.2 (5.1)  Le principe de précaution est lié à l’obligation de prévoyance de l’administrateur. Il s’exprime par des dispositions administratives spécifiques pour éviter ou limiter des conséquences négatives découlant de situations ou d’évènements potentiels ou éventuels qu’ils soient de sources externes ou internes à l’organisation. 30-06-2005)

Principe de Transparence

Lorsque des gestionnaires-mandataires négligent de faire reddition de comptes au conseil d’administration conformément aux principes de transparence et lorsque le conseil d’administration ne veut surtout pas connaître la réponse à d’éventuelles questions, ces pratiques mafieuses nous rappellent le film d’un parrain célèbre. Il y a encore des gens sérieux, professeurs émérites, qui nous disent que le principe de Transparence n’a pas sa place auprès des leaders.

Saine Gestion,

Je persiste et signe.


7 commentaires

par Khol le 03/09/2012

Je suis d’accord avec vous sur la responsabilité des conseils d’administration. Ils sont supposés être des gestionnaires « sages » travaillant pour tous les actionnaires grands et petits. Une référence à votre saine gestion leur apporterait un peu de sagesse à moins que ….

Khol

par Claude le 03/09/2012

Khol,

Les conseils d’administration évaluent leur décision sous forme de risque actuariel. Si personne n’en subit aucun impact personnel négatif, la simple morale ne suffira pas à les convaincre.

Claude

par Marc le 03/09/2012

En effet c’est de « notoriété publique » que dans certains pays les pots-de-vin sont nécessaires pour faire des affaires. Ce n’est pas légal pour autant dans la plupart des pays ! En générale dans les dictatures c’est « faites ce que je dis, pas ce que je fais »

M.C.

par Mohamed le 03/09/2012

Peut-on reprocher à une entreprise canadienne de faire tout ce qu’il faut pour avoir des contrats à l’étranger ?

M

par Bernard Brault le 03/09/2012

Ça ne dépend pas un peu de ce que vous entendez par … tout ce qu’il faut … ???

par Bernard Brault le 03/17/2012

C’est risqué de dire çà Vous ne voulez tout de même pas dire jusqu’au vol, viol, meurtre tout de même, il y a donc une limite en toute chose. Cette limite tient compte, bien sûr des lois, mais aussi de cette nécessité de vivre en société sans risquer le chaos, ou la loi du plus fort l’emporte.

Jusqu’où irez vous pour la gloire et une poignée de dollars ?

Vous avez déjà entendu ce qui s’est passé en Allemagne entre 1932 et 1945 ?

par Claude le 03/17/2012

Peut-être sommes nous collectivement rendu à ce point désespéré, pour faire de l’argent, je ne sais pas.

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