Budget fédéral 2012 ; Un espoir de Saine Gestion ?
Le Devoir du 30 mars 2012 résume le budget Flaherty en ces quelques lignes :
Le ministre des Finances, Jim Flaherty, resserre les dépenses de l’État de 6,9 %, met à pied 12 000 fonctionnaires, augmente la participation étrangère dans les banques et les entreprises de télécommunication et amorce une panoplie d’allègements des processus administratifs. Mais ce budget fait aussi quelques concessions à la gauche en bonifiant le régime d’assurance-emploi et en immunisant des pans entiers du secteur culturel aux compressions à venir.
Des concessions faites à la gauche concernant le régime d’assurance-emploi et la culture sans que la gauche n’ait eu à tirer un seul coup de canon ! Habilité ou transition ? Mais là s’arrêtent les concessions du gouvernement majoritaire de Stephen Harper dont les compressions ont dépassé les promesses électorales de l’an dernier. Celles-ci étaient plutôt de l’ordre de 4 milliards, ou de 5 %. Le ministre Flaherty se défend toutefois en précisant qu’il s’agit d’un exercice somme toute «modeste» si l’on compare aux coupes draconiennes imposées en 1995 par le gouvernement libéral. Le ministre ajoute que «Les réductions de dépenses sont modérées. Elles sont loin de celles de la Grande-Bretagne, qui représentent environ de 4 % de son PIB, ou encore de ce que Paul Martin et Jean Chrétien ont fait dans les années 1990.»
Pourquoi s’excuser de couper des dépenses si ces coupures sont nécessaires. Avons-nous les moyens de nos prétentions? C’est la seule véritable question que doit se poser celui qui contrôle les goussets de notre bourse. Et cela, ce n’est pas a priori une question de gauche ou de droite.
Première analyse
Un budget tout de même surprenant, sous influence de l’Équilibre, du réalisme et du pragmatisme. Personne ne s’y attendait, bien sûr. Souffle coupé, nous réalisons que le gouvernement, malgré des annonces subtiles et des rumeurs cauchemardesques, a su intégrer un coup de balai somme toute nécessaire, dans un budget qui vise une continuité de la relative bonne santé de l’économie canadienne, ce qui n’est peut-être pas le cas du Québec, mais cela c’est une autre affaire !
L’approche de Saine Gestion, nous l’avons dit, n’est pas influencée par l’idéologie politique. Saine Gestion relève des actes posés dans le cadre de la mission et de la position de mandataire. L’idéologie politique, qu’elle soit plus à gauche ou plus à droite ou « plus ou moins à gauche ou à droite », est indépendante des principes de Transparence, Continuité, Efficience, Équilibre, Équité et Abnégation.
Le beurre et l’argent du beurre !
Évidemment, il y a des mécontents. On peut en effet déplorer le peu d’intérêt qu’accorde le budget pour l’environnement ou pour certaines causes sociales. Il y a les laissés pour compte, les familles à faibles revenus et les monoparentales, en sachant que la pauvreté est en croissance au Canada. Il y a Radio-Canada, l’ONF et d’autres petits organismes qui écopent. Le programme de crédits RS&DE sera touché sensiblement à partir de 2014. De plus, déboulonner un des piliers des valeurs canadiennes, c’est-à-dire la pension à l’âge de 65 ans, n’est pas sans ouvrir la porte à un tsunami de protestation. Mais en réalité, l’effet tangible ne se fera sentir que dans 15 ans. Par la suite, les protestataires devenus gouvernants à leur tour n’oseront plus toucher à cette mesure qui, dans le fond, est conséquente à la réalité démographique. D’ici 15 ans, les effets néfastes sur une petite partie de la population pourraient faire l’objet d’aménagements économiques ciblés.
Préparer un budget est une question d’équilibre entre les politiques sociales existantes et les tendances lourdes sur lesquelles un gouvernement désire influer. À mon avis ce budget réussit à maintenir une continuité dans l’économie canadienne, tout en amorçant un virage vers une idéologie plus à droite. Cette tendance n’est pas une surprise. On peut critiquer sur le plan politique, voire déchirer sa chemise en public, mais ce gouvernement conservateur est légitime puisque les Canadiens l’ont porté au pouvoir. Démocratie oblige.
Vers une gestion plus saine ?
Qui sait ? Le budget Flahorty écorche principalement la fonction publique dans sa plus détestable attitude, celle de la bureaucratie gérant des programmes devenus inutiles, englués dans un lit de privilèges endémiques et anti-efficacité. Que la bureaucratie soit à contribution, sans que monsieur tout le monde passe à la casserole, nous apparaît plus conforme aux valeurs d’une Saine Gestion, au niveau de l’Équilibre et de l’Équité des affaires publiques que l’approche québécoise du budget Bachant de l’an dernier, qui a d’abord demandé aux contribuables de puiser dans ses poches avant que la machine gouvernementale s’applique à plus d’Efficience.
On entend par Efficience ce principe qui intègre les aspects de l’efficacité et de l’économie des ressources limitées. Ce principe est donc un principe hybride qui touche à la fois le concept de résultat, c’est-à-dire les attentes et la réalisation de la mission, mais aussi l’économie des moyens.
L’EFFICIENCE, à l’article 2.4-1 des PSGGR, est définie comme suit :
… Qualité qui allie les caractères d’efficacité, c’est-à-dire l’atteinte des résultats et d’économie des ressources dans l’acte administratif. L’administrateur est efficient s’il obtient un rendement optimal tout en maintenant une utilisation minimale des ressources.
Résiliente bureaucratie
Comme je l’ai exprimé à maintes reprises et en particulier dans mes articles du 27 mars et du 12 décembre 2010, de toutes les organisations créées par l’homme, tout système politique confondu, celle qui a la plus grande capacité de survie, ce qui est maintenant convenu d’appeler la résilience, est sans contredit la bureaucratie… gouvernementale, même au détriment de sa mission. Cette bibitte a son propre langage de gestion, ces propres règles éthiques et est capable de se régénérer, d’augmenter ses effectifs décisionnels et surtout de faire face à n’importe quel pouvoir démocratique externe qui pourrait remettre en question sa continuité. Ajoutons un peu d’aide syndicale et politique et la machine devient complètement débridée.
Et voilà que le ministre des finances s’enlise peut-être dans un combat inégal. D’autres avant lui s’y seront cassés les dents. Peut-être que l’application des lois fédérales faciliteront le changement plus aisément qu’avec le modèle québécois ?
Toujours selon Le Devoir du 30 mars 2012, le budget Flaherty se démarque par l’absence quasi totale de détails sur ces compressions. Les fonctionnaires n’étaient pas en mesure d’en fournir davantage hier. Chaque section portant sur les ministères spécifiques est plutôt truffée de mots-clés tels que «restructuration», «reconfiguration», «consolidation», «simplification de processus».
Phénomène bureaucratique
On fait semblant, mais on le savait. Ça s’appelle le phénomène bureaucratique. Cela fait longtemps que tous les étudiants en gestion, en sciences politiques et en droit étudient ce phénomène avec des auteurs aussi connus que Crozier (1) et Etzioni (2), qui ont largement tapissé notre imaginaire et nos bibliothèques.
Peut-on, malgré tout, amener du changement et inoculer un peu plus de Saine Gestion dans la fonction publique ?
Individuellement, je crois que les fonctionnaires sont des professionnels honnêtes qui, en général, ont à cœur de servir la population et d’accomplir leurs tâches. Le problème est lorsqu’ils œuvrent collectivement dans un système dans lequel ils ne voient ni les intrants ni la finalité de leurs tâches. Ils se perdent dans une machine infernale qu’ils ne contrôlent plus eux-mêmes, où plus personne ne veut prendre de décisions et encore moins la responsabilité des dérapages et des erreurs. Mot d’ordre : survivre jusqu’à sa pension dans l’infernale machine.
Gérer le changement ?
En 1962, Michel Crosier écrivait (3) « pour qu’il y ait changement réel, pour que la bureaucratie disparaisse ou au moins s’atténue, il faut donc que les hommes acquièrent des capacités nouvelles : capacités individuelles de faire face aux tensions, capacité collective d’organiser et de maintenir des jeux (note : comprendre jeux de rôle) fondés sur peu d’échanges et moyens de défense »
Le cadre de Saine Gestion que propose l’ISG offre un modèle de gestion qui pourrait largement s’adapter à des structures complexes, à des délégations de pouvoir, à du contrôle, à la vérification générale, à une obligation de résultat et à une reddition de comptes de la part des professionnels dirigeants de la fonction publique.
La Saine Gestion ne consiste pas en une application en silo de principes disparates comme certains aspects de la bureaucratie semblent vouloir s’y limiter, la continuité de la gestion, par exemple. En matière de Saine Gestion, il y a six principes qui doivent se côtoyer régulièrement à travers les actes administratifs posés, sans qu’aucun principe ne soit invoqué au détriment des autres.
Espoir d’Efficience
Un budget est un plan, un cap que le navire entend prendre, donc une espérance, peut-être cette fois-ci, une espérance de Saine Gestion. Cependant, ne donnant jamais le bon Dieu sans confession, je crois qu’il faudra attendre la concrétisation du budget, avant d’envoyer trop de fleurs !
Bernard Brault, F. Adm.A, FCMC, est consultant expert en Gouvernance, en éthique managériale® et en Saine Gestion. Auteur des livres Exercer la saine gestion, Fondements, pratique et audit, et Le cadre de Saine Gestion, un modèle de gouvernance intégré, publiés aux éditions CCH.
« Le cerveau est comme un parachute.
Il ne fonctionne pas s’il n’est pas ouvert. »
Frank Zappa
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(1) CROZIER Michel, Le phénomène bureaucratique. Éditions du Seuil, Paris 1963, p.11
(2) Etzioni Amitai, Les organisation modernes. Éditions J.Duculot, Gembloux 1971.
(3) CROZIER Michel, opcit p.11
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6 commentaires
Mon inquiétude par rapport à ce budget concerne les coupures anticipées à Radio-Canada.
Déjà des aménagements consécutifs à des coupes antérieures condamne les journalistes à devoir « surfer » sur les « nouvelles » produites par les réseaux sociaux, sans avoir la possibilité d’analyse. Radio-Canada n’est pas une entreprise sans défaut au plan managérial; cependant cette société d’ État constitue le seul rempart contre la niaiserie et le superficiel et le parti pris des autres médias.
Un peu de profondeur et d’analyse, c’a fait peur et ça fait surtout peur à un gouvernement contrôlant et conservateur au sens le plus étroit du mot!!! Mais pour le citoyen pressé de gagner sa croûte et qui a peu de temps pour réféchir, que restera t’il?
Oui la bureaucrassie est détestable…mais l’équilibre exige de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain et l’efficience exige aussi des moyens appropriés à la tâche.
Radio Canada est essentiel je n’en doute pas.
Peut-être avez vous raison ? Mais 10% sur 3 ans ce n’est pas vital. Et ce n’est pas la première fois, ( Chrétien-Martin ) Sur le plan contrôle administratif, un petit coup de vis dans les dépenses ne devrait pas limiter les journalistes de faire de bonnes enquêtes. Nous sommes tous obligé de donner un petit coup de vis par les temps qui courrent.
Il y a beaucoup d’autres secteurs à déplorer, ONF qui perd encore des plumes, et droit et démocratie qui va disparaître ?
Les conservateurs ont décider de nettoyer ce qui les dérangeaient ! Politique ou budget ?
Votre budget et le miens ne mettraient sans doute pas de l’avant les mêmes coupures parce que nous n’avons pas toutes les même priorités. Quelques unes sans doute, mais cela ne veut pas dire que vous n’assurer pas une saine gestion de votre budget.
Personne ne souhaite subir ou vivre des coupures.Quand les budgets augmentent personne ne crie bravo. Mais quand il faut gérer une décroissance tout le monde crie au secours. Je trouve la situation des employés d’AVIOS pas mal plus dramatique que celles de fonctionnaires avec des parachutes dorées !
Chacun trouve midi à sa porte !
Merci pour vos commentaires messieurs.
Pas beaucoup de dames pour discuter d’un budget ?