Corruption et leadership : 5 excuses à éviter si l’on veut changer les choses
Ainsi font, font … les petites marionnettes.
Sur l’air de cette vieille comptine d’enfants, le Fonds de Solidarité, le Ministère des Transports, les Villes de Montréal et de Laval, les autres municipalités, les firmes d’ingénieurs et les entreprises de construction auront bientôt tous fait leur mea culpa devant la Commission Charbonneau. Devant les caméras, leurs dirigeants et les délateurs sont devenus des tristes vedettes. Telle la mode américaine des preachers, leurs aveux publics, la demande de pardon devant Dieu et leurs familles, et beaucoup de papiers mouchoirs leur assurent la rédemption. Fautes avouées ne sont-t-elles pas déjà à moitié pardonnées, disions-nous à une autre époque ?
Évidemment, on trouvera bien moyen d’épingler quelques vulgaires malotrus qui auront pigé un peu trop clairement dans la cagnotte, et quelques-uns finiront le cul sur la paille. Il faut bien faire quelques exemples. Le peuple a besoin de sang comme au 18ème siècle ! Certains d’entre eux se sentiront sans doute trahis. Certes ! La justice n’est-t-elle pas aveugle ?
Libertarisme managérial !
Mais fondamentalement, aucune de ces organisations n’avouera franchement que l’origine de toutes ces malversations, collusions, pots-de-vin, copinages, abus de pouvoir, enveloppes brunes, maquillage comptable, et autres insanités avec l’argent publique se trouve dans un leadership complaisant, une gouvernance molasse et un management défaillant.
Parce que, je l’ai déjà dit, même Arsène Lupin, le célèbre cambrioleur, ne pouvait agir seul. Il lui fallait beaucoup de collaborateurs, de fonctionnaires complaisants et de sbires bien récompensés, des avocats et politiciens véreux facile à faire chanter, le tout pour obtenir de faux documents, de l’information pour distraire et rendre caduc la loi et la justice et agir en toute impunité.
Est-ce que l’histoire aura tendance à se répéter ?
En ce début d’année 2014, nous devons nous interroger sérieusement sur les lendemains de la Commission Charbonneau qui achèvera ses audiences dans quelques mois. L’encre du rapport de la juge Charbonneau et des commissaires n’aura peut-être pas encore séché que l’oubli viendra étendre son manteau noir sur les révélations sordides, mais combien répétitives dans l’histoire du Québec. Revenons, par exemple, à la fin de l’ère de Duplessis, pour une dramatique ressemblance.
Le Devoir 29 octobre 2011 : « Détenant des informations privilégiées quant à la vente prochaine de ce secteur d’activité d’une société d’État, des ministres, des députés et des fonctionnaires du gouvernement de l’Union nationale ont acheté des actions de la Corporation du gaz naturel de Québec avant la vente du réseau gazier de l’Hydro-Québec à cette dernière compagnie. Cette transaction a permis à neuf ministres, sept conseillers législatifs et trois députés de faire un profit de 40 610 $ (nd : Une fortune à l’époque) lors de la revente de leurs actions. Trente et un fonctionnaires ont obtenu un bénéfice de plus de 35 000 $. Sept membres de l’administration d’Hydro-Québec ont réalisé un gain d’environ 4500 $. Enfin, l’entourage des personnes précitées a empoché un gain de plus de 29 000 $. »
Au début des années 60, il eut institué, par conséquent la Commission Salvas, par le gouvernement libéral de Jean Lesage, qui porta sur un système généralisé de favoritisme et de corruption, ayant servi essentiellement à alimenter à l’époque la caisse électorale de l’Union nationale et quelques-uns de ses fidèles partisans. Dans un second article du 11 octobre 2011, Le Devoir rappelait les principales conclusions de cette enquête Salvas qui, même s’il elle était de moindre envergure dans son mandat, abordait des problèmes finalement similaires rapportés à la Commission Charbonneau. La commission Salvas concluait avec flegme et fatalité que :
« (…) les intérêts du peuple, qui fournit les argents nécessaires à l’administration de la province, ne sauraient être subordonnés à ceux d’un groupe d’individus sans que soient compromises les bases mêmes de nos institutions politiques».
Étrange impression de déjà vu !
Les commissaires de l’époque allaient faire 5 recommandations principales :
- Premièrement, intenter des poursuites criminelles contre cinq individus : Alfred Hardy directeur du service des achats, Gérald Martineau trésorier de l’Union nationale, Joseph-Damase Bégin député de Dorchester et ministre de la Colonisation, Paul Godbout fonctionnaire et Arthur Bouchard, actionnaire dans la même compagnie que le député Joseph-Damase Bégin.
- Deuxièmement appliquer des «sanctions administratives» aux 12 fonctionnaires qui étaient toujours en poste parmi les 23 qui ont été recensés à titre d’intermédiaires ayant reçu des commissions ou participé à ce système.
- Troisièmement, adopter une loi permettant à l’avenir de pouvoir récupérer toutes les sommes dépensées et de poursuivre tous les auteurs, les participants ou les bénéficiaires, directs ou indirects, d’un tel système de corruption.
- Quatrièmement, que la Loi de la Législature soit modifiée pour éviter les conflits d’intérêts de la part des députés.
- Enfin, cinquièmement, l’établissement de meilleurs contrôles de surveillance des dépenses gouvernementales tant par le vérificateur général que par les députés.
Madame la juge Charbonneau pourrait avoir tendance à conclure de la sorte. Justice sera alors rendu, les affreux auront été confondus et ceux qui auront été pris la main dans le sac de bonbons auront à rembourser. Finalement, le Vérificateur de Québec sera invité à être plus vigilant, comme il y a 50 ans. Chercher l’erreur ?
5 excuses pour noyer les véritables solutions dans l’eau glauque.
Je vous présente donc les 5 excuses et arguments qui ont de forte chance d’être invoqués pour assurer une forme de libertarisme managérial, d’immunité de la gouvernance et de la déresponsabilisation de la l’acte administratif.
Curieusement, ces excuses suivent la même logique que les recommandations des commissaires de la commission Salvas en 1963.
1. Intenter des poursuites criminelles contre les prochaines crapules qui se risqueront à piger dans la boîte à bonbons.
Hors du droit, point de salut ! C’est le contrepoids de l’anarchie. Le système fonctionne très bien puisque les profiteurs à cravates et autres crapules à gros bras ont été confondus et envoyés à l’ombre. La société de droit, ce sont les libertés civiles, le droit d’être entendu, de n’être reconnu coupable qu’après un procès. S’il y a des lacunes dans la loi, il faut les resserrer et attendre que le système fonctionne. Il y aura toujours de nouveaux arnaqueurs qui tenteront de se soustraire à la loi.
Mais les lois encadrent l’acte criminel et non pas la responsabilité de l’acte administratif qui peut faciliter ou laisser des portes ouvertes. Les princes de l’embrouille ont cet art de saisir les lacunes du management et la faiblesse du cadre de gestion où s’exerce l’acte administratif.
2. Appliquer des «sanctions administratives»
Autrement dit, le management, cette classe de serviteurs avilis recevront quelques coups sur les doigts pour avoir choisi le mauvais maître, ou les deux maîtres à la fois. La résiliente bureaucratie aura déjà vu pire. En refusant la responsabilité de l’acte administratif, les bureaucrates acceptent l’infantilisation pour éviter la responsabilité.
Le système bureaucratique demeure le talon d’Achille du management. L’absence de professionnels redevables assure une plus grande marge de manœuvre politique. La porte est peut-être trop grande ouverte. Pourquoi ne pas la refermer avec un cadre de Saine Gestion rigoureux ?
3. Adopter une loi permettant à l’avenir de pouvoir récupérer toutes les sommes dépensées et de poursuivre tous les auteurs, les participants ou les bénéficiaires, directs ou indirects, d’un tel système de corruption.
L’intention est noble. Mais cette recommandation date de …. 1963. Elle propose de faire respecter le vieil adage « bien mal acquis ne profite jamais ». La peur étant parfois le début de la sagesse, elle n’est peut-être pas l’outil de prévention le plus efficace.
Cette solution a surtout l’avantage de donner au peuple le plaisir de la vengeance. Se faire écarteler sur la place publique n’est plus à la mode, mais… Voir des crapules qui se sont pavanés dans des paradis finir sur la paille comble à tous le moins, la faim des envieux.
4. L’ultime solution depuis 50 ans : Que la Loi soit modifiée pour éviter les conflits d’intérêts de la part des députés. (et autres politiciens)
Par l’éthique, on réglera tout. Les municipalités se sont fait rappeler à l’ordre sous le gouvernement libéral de Jean Charest. L’éthique et la morale de chacun remplace la contrainte, l’autorité et la reddition de compte. Le tout, encadré par une … loi. Encore !
Vous connaissez notre position : L’éthique comme solution à l’incurie de la mauvaise gestion revient à remplacer le code de la route par un code … d’éthique.
Imaginons déjà ça d’ici, plus de feu de circulation, chacun par son obligation légale d’éthique avec courtoisie saura choisir le moment le plus opportun pour passer en s’assurant que l’autre automobiliste aura été respecté. Plus de limite de vitesse, plus de radar dans les zones à risque d’accident, chacun sachant ne pas se placer en conflit d’intérêt entre son risque et celui des autres automobilistes. Non je n’ai aucune chance au Festival de l’humour !
5. Assurer de meilleurs contrôles de surveillance des dépenses gouvernementales
Un chausson avec ça ? Cela fait 50 ans qu’ils améliorent leurs contrôles. Il semble pas que cela n’a empêché quoi que soit au MTQ, ni dans les municipalités de Montréal et de Laval. Mis à part d’avoir fait augmenter le nombre de fonctionnaires qui ont de la difficulté à se contrôler eux-même.
Chercher l’erreur !
Sortir des paradigmes du management, cela veut dire sortir sur libertarisme managérial, c’est-à-dire du libre arbitre de la profession et du rejet d’une autorité compétente pour encadrer les règles de l’art. Cela veut aussi dire aussi de combattre l’immunité de la gouvernance et des conseils d’administration et finalement exiger la responsabilité de l’acte administratif.
Chacun à son métier et les vaches seront mieux gardées.
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(1) un article : Le Devoir : 11 octobres 2011 « Il y a 50 ans, la commission Salvas – Favoritisme et corruption.
2 commentaires
Votre métaphore sur le code de la route vous place au dessus du cambouis imprimé par la gazette !
Excellent article très agréable à lire.
Quand vous dites que » l’origine de toutes ces malversations, collusions, pots-de-vin, copinages, abus de pouvoir, enveloppes brunes, maquillage comptable, et autres insanités avec l’argent publique se trouve dans un leadership complaisant, une gouvernance molasse et un management défaillant », j’ajouterai qu’il y a un contexte favorable à ce genre de choses.
Qu’il s’agisse du maire de Montréal ou de celui de Laval, depuis combien de temps occupaient-ils leur poste? Très longtemps. Trop longtemps.
Le contexte idéal pour la mise en place d’un système de malversations et autres activités douteuses? Les mêmes personnes aux mêmes places et pendant longtemps.